Dewi Le Béguec, entrepreneur pour des bâtiments favorables à la vie

 

Echange avec Dewi Le Béguec, co-fondateur de PROFIBRES : de ses débuts dans la récupération d’eau de pluie, à l’isolation des bâtiments en paille, et son engagement plus général pour des bâtiments favorables à la vie.

Déwi Le Béguec

Je suis Déwi Le Béguec, formateur PRO Paille, et co-fondateur et co-dirigeant de l’entreprise PROFIBRES qui commercialise des bottes de paille pour la construction.

« Mon sujet c’est la santé humaine, pas seulement la santé du bâtiment »

Mon sujet c’est la santé humaine et pas seulement la santé du bâtiment : ce qui m’intéresse ce n’est pas seulement l’habitat mais ce sont les gens qui vivent dedans !

On met beaucoup l’accent sur la santé de la maison : « ma maison respire », mais finalement ce qui est important c’est quand même que les habitants respirent.

C’est donc intéressant de faire un bâtiment performant pour être dans un milieu favorable à la santé humaine et donc à la vie.

C’est un argument valable pour tous : écolos et « moins écolos ». L’écologie est parfois un piège dans la communication, l’angle santé permet de rassembler un plus grand nombre.

Quand on regarde la conception générale des bâtiments et les matériaux utilisés jusqu’à présent, c’est souvent un carnage ! (ex : bâtiments en verre)

Nous sommes des êtres extrêmement sensibles. Mais on est tellement dans le mental, qu’on a fini par se convaincre qu’avec de la domotique, de la technologie, ce serait forcément mieux.

Les concepteurs sont tellement déconnectés de la santé humaine qu’ils vont parfois dessiner des choses vraiment alambiquées : ça va bien pour stocker des cartons, mais nous ne sommes pas des cartons !

Si parmi les concepteurs et les constructeurs, on se posait plus souvent la question de « qu’est-ce qui est favorable à la vie ? « , on redessinerait tout !

« Faire le lien entre le monde visible et le le monde invisible »

L’idée de fond de ce que j’essaie de faire modestement, c’est de créer des ponts entre les mondes : monde agricole et monde du bâtiment, concepteur et constructeurs, entreprise et milieu associatif, etc.

C’est un peu le début de mon parcours : faire le lien entre le monde visible et le monde invisible.

J’ai commencé dans le domaine du traitement de l’eau avec mon père qui bossait dans l’hématologie et avait besoin d’eau très pure. Le fait de m’intéresser à la substance « eau » m’a amené à m’intéresser à la santé humaine et … à ce que l’on ne voit pas.

En Bretagne, la qualité de l’eau n’est pas au top … Les eaux sont superficielles et de mauvaise qualité, avec des synergies de polluants du monde agricole, industriel et d’une forte concentration de touristes aussi.

J’ai cherché quelles étaient les alternatives pour améliorer l’eau destinée à la consommation humaine (EDCH) en Bretagne, et ça m’a amené à m’intéresser à l’eau de pluie.

Ça tombe bien, on a du potentiel en Bretagne ! (rire)

J’ai fait des années de recherche en autodidacte, j’ai travaillé avec des biologistes, des physiciens et différents chercheurs pour mieux comprendre les enjeux liés à l’eau .

Puis j’ai passé un CAP de plombier / chauffagiste pour transporter l’eau dans les bâtiments, et proposer des systèmes de récupération d’eau de pluie avec une valorisation jusqu’à l’eau de boisson, via différentes techniques de filtration.

C’est un sujet passionnant ! L’eau alimentaire – qu’on boit ou qu’on cuisine – c’est 1% seulement de l’eau qui rentre dans le bâtiment.

Il y a une certaine conscience qui s’est éveillée chez moi.

« ça a nourri chez moi une âme de pionnier dans le bâtiment. »

Cela m’a amené à travailler principalement avec des gens dans une démarche de santé humaine dans le bâtiment : des maîtres d’ouvrages avec des valeurs environnementales, des autoconstructeurs engagés,etc.

J’ai vraiment rencontré des gens et des constructions extraordinaires.

J’étais en train de rénover une maison en Bretagne à ce moment-là, et ce sont des discussions avec ces personnes qui m’ont amené à découvrir l’éco-construction (terre crue, murs trombes, construction paille, etc.).

Ces échanges et ces travaux m’ont amené à m’intéresser à la physique du bâtiment. Encore une fois le monde du visible et de l’invisible, mais dans le bâtiment cette fois : migration de vapeur, échanges d’énergie, etc.

C’était il y a une vingtaine d’années et ça a nourri chez moi une âme de pionnier dans le bâtiment.

« Enfin un matériau isolant et local : la quintessence de l’éco-construction »

J’ai fait des chantiers en Suisse et en Allemagne, parmi les premiers bâtiments ultra performants avec le label Minergie.

Franchement ça m’a fait réfléchir quand je suis rentré en Bretagne, où le climat est beaucoup plus doux … et que j’avais froid dans ma maison ! (rire)

De maison en maison, je suis devenu un spécialiste de l’isolation. J’ai travaillé pendant 15 ans comme artisan en charpente et isolation naturelle .

J’utilisais de la fibre de bois qui arrivait d’Allemagne ou de Pologne, du liège du Portugal, et aussi du chanvre en vrac ou en béton, beaucoup plus local mais pas toujours dans un cadre assurantiel bien défini.

Avec ces matériaux, on était toujours dans des zones grises, mal réglementées car mal connues.

Il y a eu beaucoup de prises de risques de mon côté mais aussi du côté de nombreux militants, en tant que particulier ou en associations.

Il faut dire que la loi dit généralement: « Faites des bâtiments pour avoir des retours d’expériences et ensuite on pourra faire une loi ».

Alors on a fait des bâtiments « hors la loi ».

J’ai rencontré la botte de paille chez un couple d’architectes en 2010 dans un chantier participatif à la Pointe du Raz. C’était une maison face à la mer à Plogoff : ils ont invité du monde pour partager leur savoir-faire, en chantier participatif.

J’ai suivi le MOA sur ce chantier puis sur plusieurs autres chantiers par la suite. J’en ai fait ma spécialité petit à petit.

Enfin, il y avait un matériau isolant et local : la quintessence de l’éco construction !

« On a été obligé de réfléchir à la performance globale et l’interaction des matériaux. »

En plus, il y avait pas mal de technicité sur le travail du bois, et j’ai apprécié la diversité des compétences que cela demandait : compétences en charpente, structure mais aussi en enduits.

Sur ces 3 domaines, il est compliqué d’en occulter un dans la construction paille ! C’est pour ça que la construction en bottes de paille a souvent été portée par des professionnels atypiques, polyvalents.

On a été obligé de réfléchir à la performance globale et l’interaction des matériaux.

Aujourd’hui la renommée de la filière paille apparait en reconnaissant le travail de fond qu’on a fait précisément sur ces questions techniques : renouvellement d’air, migration de vapeur dans les parois et de  physique dans le bâtiment.

On y a beaucoup travaillé. Les règles professionnelles ont été rédigé et ça fait 10 ans qu’on met en pratique !

Les Règles Professionnelles de la construction paille datent de 2012. C’est un des premiers documents dans la construction qui parlait de la migration de vapeur dans le bâtiment. Maintenant c’est inscrit dans le DTU* 31.2 (ossature bois) !

Plusieurs compositions de parois sont décrites et selon les parements panneaux ou enduits, des règles précises sont à respecter.

« Dans 50 ou 100 ans, est-ce qu’on ira chercher des bottes de paille en Espagne ou en Ukraine ? « 

Il y a une notion d’ordre culturelle/religieuse en France, et qui est une grande différence entre nous et les allemands par exemple : on se distingue de l’environnement, de la nature. On ne considère pas qu’on en fasse partie.

Pourtant dans l’équation environnementale à résoudre qui est balèze et qui commence à faire peur à tout le monde, tout est systémique, tout est imbriqué, tout est lié.

La botte de paille ce n’est pas juste un matériau de construction. Un des avantages majeurs de la botte de paille, c’est qu’elle stocke le plus de CO2 au m2.

Le sujet de la construction paille, c’est finalement d’apporter un élément permettant d’aller vers une transition, avec une relocalisation de l’économie.

C’est aussi faire émerger des technologies, des entreprises, des industries sobres, simples et locales. Ce qu’on a créé chez Profibres, ce n’est pas la NASA !

On a des process industriels très économes en énergie, d’où une FDES très favorable.

Dans 50 ou 100 ans, est-ce qu’on ira chercher des bottes de paille en Espagne ou en Ukraine ? Ben non, car le coût du transport sera sûrement prohibitif et c’est pour cette raison que nous souhaitons créer des petites unités de production sur tout le territoire !

Profibres est aujourd’hui associé à une coopérative agricole : nous sommes donc aussi des paysans !

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