Cédric Delahaye, pour une architecture bioclimatique et résiliente en milieu insulaire

30 minutes avec Cédric Delahaye, architecte : comment penser une architecture  bioclimatique et résiliente à l’île de la Réunion ?

Cédric Delahaye

Je m’appelle Cédric Delahaye. Je suis architecte et co-gérant du « LAB Réunion » à l’île de la Réunion.

LAB, pour Laboratoire d’Architecture Bioclimatique

Mon agence est un Laboratoire d’Architecture Bioclimatique. Nous cherchons toujours à trouver le meilleur équilibre entre le confort de l’usager, le climat local et le bâtiment. Nous travaillons en accord avec les idées du manifeste de la « frugalité heureuse ».

L’île de la Réunion est un territoire insulaire tropical situé à plus de 9000 km de la France métropolitaine. Construire des ouvrages bioclimatiques ici, nécessite donc une conception consciente des spécificités de ce territoire. Il est essentiel de nous adapter autant que possible au lieu, à son histoire, à sa culture et à ses paysages… et à la Réunion il y a de quoi faire ! (rire)

« 100% des matériaux de construction de la Réunion sont importés ! « 

Ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est que 100% des matériaux de construction de la Réunion sont importés !

Les ressources locales sont inexistantes pour la plupart des matériaux, et largement insuffisantes pour le reste. Même le bois de Cryptoméria, très présent sur l’île, est peu utilisé car de piètre qualité… De toute façon il n’y a qu’une seule entreprise qui travaille le bois sur l’île donc tout est verrouillé.

On prend beaucoup de retard sur le développement d’une potentielle filière bois : il y a un monopole total et l’entreprise peut imposer des prix exorbitants. A titre d’exemple : en France métropolitaine le prix d’un m3 de bois lamellé-collé vaut environ 1500€, à la Réunion il faut compter environ 3500€ soit plus du double… (soupir)

De plus, en tant que Département d’Outre-Mer français nous devons respecter les normes françaises et européennes. Par conséquent, même lorsque des ressources de bonne qualité pourraient être importées d’Afrique ou de zones géographiques proches, nous devons nous contraindre à des produits « aux normes » qui viennent généralement de bien plus loin.

Enfin, il faut aussi avoir en tête que la plupart des richesses et des grosses entreprises de l’île sont aux mains de quelques familles qui détiennent un monopole quasi-total sur les importations. Si elles souhaitent créer de fausses pénuries pour faire gonfler les prix, dans les faits rien ne les en empêche… (soupir)

« Il faut exploiter les matériaux importés (…) intelligemment et en utiliser le moins possible »

Sur l’île, la majorité des bâtiments sont aujourd’hui construits en béton armé. Les ossatures sèches en bois ou en métal sont assez anecdotiques.

Collège de Bouéni à Mayotte
Collège de Bouéni à Mayotte, conçu selon les principes bioclimatiques et low tech – Source : LAB Réunion

Je considère le béton comme un matériau bête : peu de prises de tête lors de la phase conception, même pour les réseaux et les fluides, ce qui est très différent des conceptions en bois.

Puisque les matériaux importés sont tous très impactant d’un point de vue environnemental, au LAB nous partons du principe qu’il faut les exploiter intelligemment et en utiliser le moins possible.

Par exemple, on construit un socle en béton pour garantir un bon ancrage et une structure suffisamment massive pour faire face aux épisodes cycloniques, mais l’ossature restera légère et sobre !

« Favoriser le réemploi (…) et exploiter au mieux les ressources locales, les fibres par exemple (…) et la terre crue. »

Nos crédos sont la préservation de la biodiversité – le parc national de la Réunion est classé au patrimoine mondial de l’UNESCO – et l’architecture frugale et lowtech.

Pour limiter l’impact de nos matériaux nous cherchons à développer sur l’île plusieurs solutions d’avenir.

Premièrement, nous souhaitons favoriser le réemploi, avec la mise en place de ressourceries physiques ou numériques.

Deuxièmement, nous souhaitons exploiter au mieux les ressources locales, les fibres par exemple. Il y a certes la canne à sucre, mais nous souhaitons en premier lieu nous inspirer des plantes endémiques utilisées dans le patrimoine local réunionnais, tel que le vétiver ou le vacoa.

Enfin l’un des sujets qui nous occupe beaucoup en ce moment est la terre crue. Nous avons déjà discuté avec des chercheurs de l’IFSTTAR qui nous ont indiqué qu’il y avait un bon potentiel de ressource sur l’île.

Le climat tropical de la Réunion, contrairement à certains a priori, n’est pas une contre-indication à l’utilisation de ce matériau sensible à l’eau. Sur l’île de Mayotte, qui connait aussi des cyclones et de fortes pluies, les maisons traditionnelles « nyumba » étaient construites en bois, fibres et torchis, donc en terre crue !

A présent, la question est de savoir quels sont les acteurs compétents à mettre autour de la table pour structurer ces filières locales et impulser rapidement des projets concrets.

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