30 minutes avec Cédric Daniel, fondateur du réseau Twiza, 1er réseau d’entraide pour de l’habitat écologique, pour apprendre à construire, ensemble, avec bon sens : sa démarche et l’évolution du réseau, sa vision de l’auto-construction et la notion d’utilité qui l’anime dans son travail.
Je m’appelle Cédric Daniel. J’ai le privilège d’entreprendre dans le secteur de l’habitat écologique, low-tech et participatif avec le réseau Twiza depuis 2014.
« Cette démarche me permet de me sentir utile au quotidien, ça c’est quelque chose de très important. »
J’ai une formation d’ingénieur généraliste tournée vers l’agronomie, mais je n’ai pas attendu la fin de mes études pour créer ma première entreprise. J’ai toujours été intéressé par l’entreprenariat, et plus encore par les sujets complexes.
Je ne pouvais pas rêver mieux en mêlant dans mon travail les enjeux sociaux et environnementaux actuels. Cette démarche me permet aussi de me sentir utile au quotidien, ça c’est quelque chose de très important : je me lève le matin en étant content de ce que je vais faire de ma journée, et je me couche le soir en étant content de ce que j’en ai fait.
Je ne dirais pas, jamais, que je suis un militant écologiste. A travers les différentes activités de Twiza, notre objectif est surtout de construire avec bon sens, donc dans le respect de l’environnement mais surtout dans le respect des personnes.
« Ils interviennent directement sur le terrain, au plus près des chantiers et des constructeurs afin de transmettre et partager des informations de qualité. »
Initialement, et durant ses deux premières années d’existence, Twiza était une plateforme en ligne qui permettait de mettre en relation des personnes souhaitant ouvrir leur chantier, et des personnes souhaitant y participer.
A présent, c’est bien plus que ça : nous organisons des portes ouvertes, nous accompagnons les auto-constructeurs de la conception à l’aboutissement de leur projet d’un habitat écologique, et nous participons à la création de réseaux de professionnels et d’associations qui promeuvent l’éco conception.
Notre travail s’articule autour de groupes de bénévoles de plus en plus important répartis sur tout le territoire français. Ces groupes locaux constituent une population à part. Ils interviennent directement sur le terrain, au plus près des chantiers et des constructeurs afin de transmettre et partager des informations de qualité.
« Le réseau ce n’est donc pas que la plateforme informatique, c’est aussi les gens eux-mêmes. »
Je considère que le réseau Twiza est défini par l’ensemble des informations qui circulent entre les individus et qui créent du lien : le réseau ce n’est donc pas que la plateforme informatique, c’est aussi les gens eux-mêmes !
Ce réseau se construit autour et pour des porteurs de projets : nous voulons supporter les gens qui ont des projets pour rendre le monde de la construction meilleur. Ces projets peuvent prendre la forme de chantiers, de développement de nouveaux procédés et de nouvelles techniques, de reconversions professionnelles… En fait, c’est un super incubateur de supers projets ! (rire)
« Auto-construire ce n’est pas juste « ne pas payer » un artisan compétent. »
Lorsque nous accompagnons des éco-auto-constructeurs la première chose que nous faisons systématiquement est de faire avec eux le point sur leurs quatre grands capitaux, qui seront les quatre piliers de leur projet : le capital financier, le capital temps, le capital compétence et le capital social.
Nous aidons les gens à mieux se comprendre, à mieux comprendre leurs besoins afin de mieux définir leur projet : ont-ils assez d’argent, de temps, de compétence, de contacts ? Vaut-il mieux « faire », « faire faire » ou « faire avec » ? Est-ce le bon moment de construire ?
Car souvent on se rend compte, en réalité, que ce n’est pas du tout le bon moment pour s’engager dans un tel projet… ou que le projet n’est pas du tout bien dimensionné par rapport aux capitaux dont ils disposent…
Cette notion de capitaux, au pluriel, me semble cruciale. Il est indispensable que les auto-constructeurs prennent conscience de ce qui existe au-delà du capital financier. Certes, construire eux-mêmes leur maison leur reviendra moins cher en termes d’argent dépensé, mais s’ils ne payent pas leur projet avec des euros il faut qu’ils comprennent qu’ils vont le payer autrement.
L’auto-construction ce n’est pas juste « ne pas payer » un artisan compétent. Comme le capital financier, les autres capitaux sont eux aussi finis : cette approche donne lieu à une réflexion beaucoup plus saine et vertueuse.
« On peut se passer du sentiment d’utilité et de la reconnaissance des autres pendant quelques années, mais cela finit inévitablement par nous tuer. »
Je reviens à la notion d’utilité, qui m’anime personnellement dans mon travail quotidien. Je pense que c’est un besoin aussi essentiel à la vie que manger et boire : on peut se passer d’eau pendant quelques jours, de nourriture pendant quelques semaines, du sentiment d’utilité et de la reconnaissance des autres pendant quelques années, mais cela finit inévitablement par nous tuer.
Quand je regarde les nouvelles générations d’actifs, j’observe que c’est un sujet qui revient de plus en plus souvent : les gens veulent exercer une activité qui a du sens et dans laquelle ils puissent se sentir utiles à la société.
Ces propos sont souvent formulés de façon très explicite dans les formulaires d’inscription de la plateforme, où les gens peuvent se présenter et décrire leurs attentes en quelques mots : « je veux faire quelque chose d’utile, pour moi et pour les autres ».
« Une fois, à l’issu d’un chantier, quelqu’un m’a dit : « Ça m’a réconcilié avec l’espèce humaine ». »
Il est aussi très intéressant de se pencher sur les enquêtes réalisées auprès des participants des chantiers collaboratifs. On demande généralement aux personnes quelles sont leurs motivations en amont du chantier, et quelles sont leurs satisfactions en aval de ce dernier.
En amont, la motivation qui revient le plus est l’apprentissage, la volonté de se former. En aval cependant, on pourrait s’attendre à ce que les gens soient satisfaits de ce qui les avait initialement motivés, mais pas du tout.
Au-delà de l’apprentissage, les plus grandes satisfactions des participants sont les relations sociales qu’ils ont pu tisser, les amis qu’ils ont pu rencontrer… Construire ensemble, c’est surtout créer du lien. Construire ensemble, c’est aussi reconstruire des individus cassés par leur environnement… Je pense que chaque personne est une ressource, unique, que la société trop souvent broie et gâche. (silence)
Une fois, à l’issu d’un chantier, quelqu’un m’a dit : « Ça m’a réconcilié avec l’espèce humaine ».