30 minutes avec Frédéric Denise, fondateur de l’agence Archipel Zéro : sa vision de la place de l’architecte et son engagement pour une architecture de la décroissance.
Je m’appelle Frédéric Denise. Je suis architecte, fondateur de l’agence Archipel Zéro.
« Je revendique et j’assume le terme radical. »
Cela fait peu de temps que je suis réellement engagé dans l’architecture « frugale ».
Pendant de très (trop ?) nombreuses années, je me suis contenté de travailler comme la plupart de mes collègues, sans me poser beaucoup de questions. J’étais vaguement écolo, mais c’est tout.
Je pense que ma radicalisation architecturale – je revendique et j’assume le terme « radical » – s’est imposée en même temps que mes engagements politiques en faveur de la décroissance.
C’est ainsi qu’après 20 ans d’exercice libéral j’ai décidé de renommer mon agence d’architecture : Archipel Zéro.
Il y a plusieurs années j’ai écrit un mémoire intitulé « l’architecte objecteur de croissance ». Ce travail constitue un programme d’une centaine de pages pour concevoir une architecture décroissante.
Quand on y pense, le métier d’architecte fait clairement partie des métiers les plus polluants du monde… (soupir)
Nous avons une grosse part de responsabilité, il est indispensable que nous en prenions conscience. Le message le plus important de ce mémoire peut être résumé ainsi : il faut arrêter de construire.
C’est aussi simple que ça.
« Si l’on doit construire du neuf, cela doit être fait pour le bien commun, de la façon la plus sobre et la plus intelligente possible. »
On entend sans arrêt dire dans les médias qu’il n’y a pas assez de logements, notamment de logements sociaux… mais on parle beaucoup moins de tous ces bâtiments de bureaux inoccupés, des maisons secondaires ou des logements Airbnb dans des zones où l’on manque pourtant de logements accessibles…
De plus, notre priorité devrait être la rénovation, éventuellement l’agrandissement et la surélévation de certains bâtiments. Mais bon, tout cela est très politique… (soupir)
Dans tous les cas si l’on doit construire du neuf, cela doit être fait pour le bien commun, de la façon la plus sobre et la plus intelligente possible.
Que ce soit dans ma vie personnelle ou dans mon travail, j’essaye à présent d’appliquer au mieux ce programme.
« Zéro béton, zéro carbone, zéro déchet ; ne construire que si nécessaire ; le moins et le mieux possible ! ».
Au sein d’Archipel Zéro, notre objectif est ainsi construit : « zéro béton, zéro carbone, zéro déchet ; ne construire que si nécessaire ; le moins et le mieux possible ! ».
Je dirais qu’aujourd’hui je me définis davantage comme un militant que comme un architecte. Un architecte engagé, « enragé » et anarchiste même ! (rire).
Il faut arrêter de construire des villes sur des champs, et des pavillons autour des villes !… Il faut s’engager contre le capitalisme, le productivisme, ne pas nous laisser asservir par le travail et un système dans lequel on se noie : il faut avoir la force et le courage de faire le pas de côté.
« L’un des premiers gros projets sur lequel nous avons travaillé est le « Hangar Zéro ». »
L’un des premiers gros projets sur lequel nous avons travaillé est le « Hangar Zéro ».
L’idée et l’envie sont nées en 2015, lors d’un weekend du Village des Alternatives pour le monde de demain porté par le collectif Alternatiba. Nous avions pris conscience depuis un certain temps déjà que les transitions sociales et environnementales aujourd’hui nécessaires ne pourront pas venir du gouvernement : tant pis, on se passera d’eux. (rire)
Cet évènement a été une belle occasion d’apercevoir de belles alternatives pour notre société…Cependant, après un weekend aussi dense et riche nous avions un peu la gueule de bois.
Le retour à la réalité nous a semblé soudainement particulièrement douloureux, et cela nous a donné envie de pérenniser un lieu pour accueillir et abriter la construction d’alternatives concrètes.
Fin 2016 nous avons répondu à l’appel à projet « Réinventer la Seine » qui réinvestissait un hangar à café abandonné au Havre. Nous avons été lauréat avec l’association LH-0 créée pour l’occasion.
C’est un très beau projet, en cours de réalisation, où nous pouvons appliquer avec joie notre programme : sobriété, utilisation intelligente de matériaux bio et géo-sourcés, bio climatisme, réemploi, en co-conception et auto-construction participative…
« Nous concilions dans un même lieu des approches low-tech et hi-tech. »
Un autre de nos projets qui a beaucoup fait parler de lui est la Ferme des Possibles, à Stains. Ce bâtiment est le siège social de Novaedia, une coopérative d’insertion qui développe une boucle alimentaire locale, biologique et solidaire.
Nous avons continué dans la même lignée que le Hangar Zéro : matériaux bio et géo-sourcés, réemploi, conception bioclimatique…
Nous concilions dans un même lieu des approches low-tech (mur trombe, enduits en terre crue, caissons d’isolation bois-paille…) et high-tech (cuisine laboratoire ou thermo-frigo-pompe).
Les origines des matériaux de réemploi sont multiples : Bellastock, le Bon coin, Métabolisme Urbain, la Ville de Paris, Réavie, … Certains produits et matériaux ont même été récupérés par les entreprises elles-mêmes sur des chantiers de rénovation ! (rire)
« Le plus important est de rester élégant ! »
Nous avons eu d’autres beaux projets, nous en aurons d’autres… même si c’est lent et insuffisant les choses bougent, au moins un peu… (soupir)
Lorsque l’on est trop lucide il ne faut pas se laisser aller à la colère ou à la dépression, le plus important est d’essayer de rester élégant ! J’aime beaucoup cette image : des musiciens qui jouent, avec force et élégance, sur le Titanic en train de couler. Car c’est un fait : nous coulons, alors… jouons !