Vincent Robin, maçon terre : « La terre, c’est lourd ! »

30 minutes avec Vincent Robin, maçon terre installé en Rhône-Alpes : son parcours depuis 10 ans, sa rencontre avec le matériau et sa vision d’un bon chantier…

 

Dessin de Vincent Robin
Crédit : Léa Rinino

Je m’appelle Vincent Robin. Je suis maçon terre depuis plus de 10 ans.

« Des amis m’ont appelé sur un gros chantier en terre crue (…) J’y suis allé,le boulot m’a plu »

J’ai fait des études d’architecture, à Grenoble. Peu de temps après mon diplôme, je me suis fait virer d’un concours que j’avais pourtant gagné : j’étais jeune, plein d’idéaux, et certains en ont profité. Ça m’a dégouté.

Plus tard, alors que je cherchais du travail, des amis m’ont appelé sur un gros chantier de construction en terre crue : ils manquaient de monde et avaient besoin d’un grand gaillard. J’y suis allé, le boulot m’a plu. Mon boulot a dû leur plaire aussi parce qu’un mois après ils m’ont proposé un nouveau chantier.

Un an après, j’étais devenu associé.

« Il y a un côté magique, inaltérable »

C’est cette opportunité qui m’a fait découvrir et aimer le travail de la terre. Les gens m’ont plu, le matériau aussi.

La terre crue est un matériau non transformé, il y a un côté magique, inaltérable : tu la mouilles, tu la modèles, ça sèche, tu la remouilles, tu la réutilises … C’est accessible à tous, et sain !

Je n’aurais jamais bossé dans le béton armé, pourtant je ne dirais pas que ce sont des convictions conscientes qui m’ont poussé vers la construction terre. C’est plutôt quelque chose de viscéral, je dirais, de presque sensuel.

Un discours politique est venu après, il s’est construit lorsque j’ai eu besoin de justifier mon travail auprès des autres.

« Si l’architecte prend en considération l’artisan dans sa conception, tout le monde y gagne du temps et de l’argent ! »

Lorsqu’on travaille sur de petits chantiers privés, chez des particuliers par exemple, il n’y a souvent pas ou peu d’intermédiaires avec le maître d’ouvrage1, qui est aussi parfois maître d’œuvre2. Ça facilite les échanges et le travail, car de vraies discussions et une vraie relation de confiance peuvent se construire.

La relation maçon/maître d’œuvre, et sa connaissance du matériau terre sont aussi des facteurs déterminants. Par exemple si l’architecte prend en considération l’artisan dans sa conception, sa fatigue et ses multiples contraintes techniques, tout le monde y gagne du temps et de l’argent !

« Parfois on se retrouve dans des situations absurdes, voire dangereuses »

Mais les architectes ne nous concertent quasiment jamais : on ne nous prend pas exactement pour des benêts mais … (soupir)

On est parfois si peu écouté que l’on se retrouve dans des situations absurdes, voire dangereuses.

Par exemple, il est arrivé lors d’un gros chantier public qu’il pleuve et que les stocks de terre soient trop mouillés pour être utilisés en l’état. Impossible de faire du pisé avec ça, c’était de la boue !

On l’a dit à l’archi, qui nous a juste répondu qu’il fallait tenir le planning et piser3 quand même « allez allez ! ». On lui a expliqué que c’était impossible, mais il n’en avait rien à faire, « allez allez !».

On lui a proposé des solutions pour utiliser, malgré tout, le stock de terre : ajouter de la chaux ou juste attendre qu’il y ait un peu de soleil pour que la terre puisse sécher. Il a tout refusé en bloc, rien à faire… « allez allez ! » … (soupir)

« Il faudrait faire un « barbecue de concertation » ! »

Sur les gros chantiers publics, le maçon ne choisit presque jamais sa terre…car la phase de conception en amont de ces chantiers est très longue. Lors de l’appel d’offre qui suit tout est déjà décidé : tu te plies aux exigences et tu es réactif, sinon tant pis pour toi.

Le gisement de terre à pisé est déjà choisi, tu te débrouilles. De toute façon, avec les délais imposés, on n’aurait pas forcément le temps de chercher par nous même une terre, d’analyser les matières … tout va trop vite.

Dans l’idéal, pourtant, il faudrait que l’on puisse intervenir un peu plus en amont, pendant la phase de conception : pour discuter, présenter le matériau s’il est mal connu… Il faudrait aussi que l’on puisse rencontrer avant le début du chantier les autres corps d’état : chacun exposerait les contraintes et les difficultés de sa profession, les points de vigilance que les autres corps d’état devraient respecter pour une bonne mise en oeuvre… on se comprendrait mieux comme ça !

En fait il faudrait faire un « barbecue de concertation » entre tous les corps d’état avant le début des travaux d’un bâtiment en pisé, par exemple ! Un moment de transmission, d’échange, qui permettrait d’éviter beaucoup de problèmes par la suite. Et s’il y a des végétariens, on peut aussi faire un barbecue végé, ou des frites : les frites font l’union, en règle générale les frites ça met tout le monde d’accord ! (rires)

« Ça a été n’importe quoi par le passé, donc maintenant on se retrouve avec des CCTP en béton armé ! »

Bon un peu de sérieux…un autre problème c’est l’absence totale de droit à l’erreur, même minime, alors que tout le monde en fait ! Tu subis tellement à la moindre erreur que les gens préfèrent les cacher ou les nier, au lieu d’assumer le problème pour que l’on cherche des solutions, ensemble…

Dans les chantiers publics toutes les entreprises doivent rendre des comptes à des CCTP4 lourds et incompréhensibles. J’ai demandé à des amis architectes pourquoi ces documents étaient aussi détaillés et exhaustifs.

En fait c’est simple : pour limiter autant que possible la marge de manœuvre des entreprises. Sans ça elles s’engouffrent dans la moindre faille du CCTP pour optimiser économiquement leur prestation, même si cela doit desservir le projet.

Ça a été trop n’importe quoi par le passé, donc maintenant on se retrouve avec des CCTP en béton armé ! (rires)

« Ce sont nos erreurs et nos retours d’expériences qui nous font progresser… à la condition de savoir leur donner l’importance qu’ils méritent. »

C’est triste, mais en fait chacun tire en permanence la couverture à soi au lieu de bosser au bon déroulement du projet…

J’ai aussi le sentiment que l’on veut tous être des « pros », prouver que l’on sait tout, que l’on maîtrise tout. Alors que non, l’erreur est humaine et il faut une vie pour devenir « sachant » !

On apprend chaque jour, ce sont nos erreurs et nos retours d’expériences qui nous font progresser… à la condition de savoir leur donner l’importance qu’ils méritent.

 


1Maître d’ouvrage : Celui qui commande l’ouvrage, et qui paye l’ensemble des prestations

2Maître d’oeuvre : Celui qui conçoit à la demande du maître d’ouvrage. C’est généralement un architecte.

3Piser : Action de faire du Pisé en compactant avec un « pisoir » manuel ou pneumatique de fines couches de terres superposées (technique de construction).

4CCTP – Cahiers des Clauses Techniques Particulières : Cahier des charges donné aux entreprises de construction.

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