30 minutes avec Alexandre Pointet, ingénieur et artisan. Il nous parle de son parcours, de la création de son entreprise « Kellig Emren » et de sa vision d’un développement souhaitable pour la filière bio sourcée.
Je m’appelle Alexandre Pointet. Je suis le fondateur et le gérant de Kellig Emren, une petite entreprise de produits isolants bio sourcés.
Depuis 2017 je travaille dans mon entreprise, Kellig Emren. Je formule et fabrique des panneaux isolants à base de granulat végétal, de terre et de chaux. Il s’agit d’un béton végétal dont les qualités visées permettront l’amélioration du confort de l’habitat par isolation et perspirance de la vapeur d’eau.
Depuis plusieurs années, je développe mes produits et mes machines. Avant même de me lancer dans cette aventure je bénéficiais déjà d’un bon réseau : cela m’a permis de dynamiser mon activité dès ses débuts !
» Je ne voulais pas laisser un héritage qui serait fait d’ordures… «
J’ai un diplôme d’ingénieur en mécanique et en automatisme, obtenu après un BTS et 3 ans d’alternance. Déjà durant mes études, je me posais beaucoup de questions sur le sens de mes actions.
J’ai commencé à m’intéresser à l’écoconstruction car je construisais des tipis et des yourtes avec des amis. Avec le temps, j’ai eu la volonté de construire « propre », avec les ressources du territoire. Je ne voulais pas laisser un héritage qui serait fait d’ordures…
» Après mes études d’ingénieur, j’ai eu la volonté de me former à autre chose. «
Lors de ma première alternance, j’ai remonté et adapté pour l’entreprise Akta une machine pour fabriquer des panneaux chaux-chanvre.
Après mes études j’ai eu la volonté de me former à autre chose : la forge, le travail du bois… J’ai été, pendant un temps, artisan dans la réalisation de jouets en bois. J’ai arrêté car je trouvais la partie marketing trop lourde et compliquée.
Par la suite je me suis investi dans des projets très variés : j’ai travaillé comme animateur auprès de personnes en situation de handicaps mentaux, avec un ami programmeur nous avons développé le jeu « seeds of resilience » sur l’impact de nos modes de vie… (sourire)
» L’autonomie passe par un libre accès aux outils de production, ou par la production de ses propres outils ! «
En 2017 j’ai retrouvé la machine sur laquelle j’avais travaillé pour Akta, elle était telle que je l’avais laissée. Je l’ai rachetée dans l’objectif de la réparer, puis d’en construire une nouvelle dans le futur.
Je voulais lancer mon activité dans le domaine de la construction, mais j’avais également une forte volonté d’autonomie. Selon moi, cela passait par un libre accès aux outils de production, ou encore mieux : produire ses propres outils ! C’était le début de Kellig Emren !
Contrairement à mes anciens camarades ingénieurs, embauchés dans de grosses entreprises, je prenais le revers du monde industriel vers lequel me dirigeait ma formation. Je préférais travailler en accord avec mes convictions, loin de l’idée trop répandue que le profit pouvait primer sur tout le reste.
J’ai pu commencer à produire et prototyper assez vite avec l’ancienne machine car la partie conception avait déjà beaucoup maturé pendant mon alternance.
» Dès le début, je savais ce que je voulais et ce que je ne voulais pas. «
Dès le début, je savais ce que je voulais et ce que je ne voulais pas. C’est par la suite que j’ai pu mettre au point un mode de production plus efficace.
Pour mon approvisionnement en matière végétale, je travaille avec des producteurs locaux de miscanthus et de chanvre. Cela m’évite l’étape industrielle de défibrage du chanvre.
La terre crue n’est malheureusement pas encore locale, mais j’espère qu’elle le deviendra. Les ressources d’excavation sont importantes ici, en Bretagne, mais préparer la terre est un métier à part entière : il faut l’émotter, la tamiser, la calibrer et la caractériser… Je n’avais ni le temps ni le courage pour ces étapes. J’ai donc pris la décision d’utiliser des déchets de carrières : les fines argilo-calcaires.
« Les produits biosourcés peinent à être assurés. »
J’ai déjà eu une expérience compliquée avec le CSTB par le passé… Les ressources végétales et argileuses sont très variables, je m’arrache les cheveux avec les normes et les certifications… Leur « normalisation« , en vue de faciliter leur assurabilité, en est d’autant plus complexe. Cependant, en France et ailleurs dans le monde, l’énergie n’est plus aussi abondante qu’auparavant. Par conséquent, le développement des filières locales va être de plus en plus encouragé.
» Il faudra que les organismes certificateurs s’outillent afin de normaliser une quantité grandissante de matériaux singuliers provenant de tous le pays. «
Localement, les centres de développement économiques, les universités et leurs laboratoires, les agriculteurs, artisans, architectes, ingénieurs et fabricants seront tous des relais indispensables à l’élaboration de ces filières en circuit court. Puisse la volonté nationale s’orienter ainsi vers une autonomisation réelle des territoires…
» On se tire une balle dans le pied en standardisant les matières premières bio sourcées et géo sourcées. «
Après plusieurs années passées à développer les produits de Kellig Emren, voilà quelques conclusions intéressantes :
- Le « taux de poussière » est le paramètre le plus impactant sur la conductivité thermique, donc sur la capacité isolante de mes produits isolants biosourcés. En comparaison.
- Le matériau initial (nature, granulométrie, …) a peu d’impact sur les performances finales comparé à l’impact du processus de fabrication et de la mise en œuvre sur chantier .
Par conséquent, on se tire une balle dans le pied en standardisant les matières premières biosourcées et géo sourcées. En imposant des « garanties de moyens » plutôt que des « garanties de résultats », on se prive de toutes les ressources qui sortent un peu d’un cadre étroit de la normalisation…
» Pourtant, ne vivons nous pas dans un monde qui demande sans cesse plus de résilience et d’adaptabilité ?… «
De plus, avec cette approche rigide, on handicape les petits producteurs et le développement de filières locales de matériaux biosourcés, ce qui est déjà un peu le cas aujourd’hui avec le chanvre labellisé…
» Il y aura un regard critique à avoir sur ces futures normes : une procédure peut être intelligente le jour de sa sortie, et être dépassée dès le lendemain. «
J’ai beaucoup d’attentes et d’espoirs vis-à-vis du Projet National Terre crue, et d’une éventuelle future normalisation inclusive pour tous.
J’ai souvent un sentiment de décalage avec les autres acteurs du monde du bâtiment, en terme d’engagement et de la lutte environnementale : un sentiment d’urgence qui m’anime à chaque instant, tandis que d’autres l’effleure sans réellement le rencontrer…