La construction en terre crue en France aujourd’hui

«   – Papa, je vais travailler sur la construction en terre crue.

– Super ma chérie ! tu veux voyager en Afrique ?    »

 

Cet échange est tiré d’une histoire vraie ! Et si la phrase fait rire, sourire ou froncer les sourcils, elle n’est pas moins révélatrice d’un cliché persistant, d’une pensée récurrente : la terre crue, c’est en Afrique.

Pourtant « Papa » a vécu sans le savoir pendant plus de 20 ans entouré de maisons en pisé croix-roussiennes et iséroises. Nous avons là une des trop nombreuses évidences d’un patrimoine français oublié.

 

« La terre crue c’est en Afrique », un cliché ?

Il n’est évidemment pas faux de relier la terre crue à l’Afrique, tant le patrimoine architectural en terre de ce continent est conséquent et varié.

Grande mosquée de Djenné
Grande mosquée de Djenné (Mali) construite en terre (banco) – Crédit : iStock

La richesse du vocabulaire technique en est aussi la preuve : constructions en « leuh » au Maroc, en « banco » en Afrique de l’Ouest, en « daga » dans le sud-est africain ou en « thobe » en Egypte et dans les régions septentrionales. Les grandes mosquées de Djenné et de Mopti au Mali font d’ailleurs partie des monuments construits en terre crue les plus célèbres.

Cependant, sans nier la richesse des savoir-faire africains dans le domaine de la construction en terre crue, il serait faux de prétendre que ce continent en détient le monopole. En effet, on estime qu’au début du XXIe siècle environ 30% de la population mondiale, rurale et urbaine, issue de tous les pays, et sur tous les continents, vit dans des maisons en terre crue (source : « Traité de construction en terre » – CRAterre).

La terre crue en France, un patrimoine conséquent

Avant de nous laisser emporter dans l’infinie diversité du patrimoine mondial en terre crue, fruit de plus de 2000 ans d’Histoire, revenons d’abord chez nous.

La France, comme beaucoup d’autres pays européens, est loin d’être étrangère à ce matériau. On estime aujourd’hui qu’environ 15% du patrimoine architectural, principalement construit en zone rurale, est en terre crue (source : « Traité de construction en terre » – CRAterre).

Les techniques constructives françaises sont variées, nées d’une adaptation empirique des populations aux propriétés des terres locales et aux contraintes climatiques, économiques, politiques et sanitaires de leur époque.

En France, depuis de nombreuses années, les maçons « terres » sont les porteurs et défenseurs des savoir-faire constructifs en terre crue. Plus récemment, des architectes, des ingénieurs, et des chercheurs redécouvrent la terre crue et ses nombreuses qualités, et lui redonne une place parmi les matériaux de construction.

Techniques traditionnelles et techniques contemporaines : terre crue d’aujourd’hui

Aujourd’hui en France des techniques traditionnelles de construction en terre crue retrouvent petit à petit le chemin des chantiers. Ces techniques, réparties sur tout le territoire français, sont le pisé, la bauge, le torchis, la terre allégée et les adobes (briques de terre crue).

La terre crue revient sur les chantiers
La terre crue : traditionnelle et résolument moderne -Crédit : Léa Rinino

Certaines sont parfois « modernisées », dans leur esthétisme ou dans les méthodes de mises en œuvre utilisées. A titre d’exemple on peut citer le passage d’un pisoir manuel à un pisoir pneumatique, ou l’utilisation de malaxeurs mécaniques. Cela permet de diminuer la pénibilité du travail des maçons et facilite un changement d’échelle de chantier.

D’autres techniques contemporaines, telles que les BTC (Briques de Terre Comprimées) et la terre coulée, voient également le jour. Elles sont encore en cours de perfectionnement et sont souvent le sujet de débats dans la profession. En effet, ces dernières techniques sont aujourd’hui presque systématiquement « stabilisées » avec des liants tels que le ciment ou la chaux. Ces liants permettent d’augmenter le résistance mécanique et la résistance à l’eau des ouvrages, mais détériore le bilan carbone du projet et rend impossible la réemployabilité des terres.

La terre crue, un matériau moderne car…

Qu’elles soient traditionnelles ou contemporaines, l’utilisation de ces techniques constructives en terre crue semble pertinente face à notre réalité climatique et économique.

Sans brandir la terre crue en matériau salvateur ou en panacée face à la hausse des températures et à la fonte des glaces, il est intéressant de se pencher sur ses nombreuses vertus en tant que matériau de construction.

Voici une liste synthétique et non exhaustive des vertus de ce matériau terre, qui justifient son renouveau en France, comme ailleurs dans le Monde :

  • La ressource est abondante et peut entrer dans une logique d’économie circulaire lorsque la terre utilisée est celle du site.
    • Note : Les terres excavées des chantiers sont considérées, aux yeux de la loi, comme des « déchets ». Une terre est dite « excavée » quand on vient creuser la terre présente sur le site et en retirer une partie pour faire de la place pour des fondations par exemple. Les terres en surplus doivent être transportés dans des décharges spécifiques, aujourd’hui saturées. Pourtant ces terres pourraient être utilisées pour la construction.
  • Elle peut être infiniment réemployable par simple ajout d’eau, si elle n’a pas été stabilisée par un liant.
  • Les constructions en terre crue ont un faible impact environnemental, si il n’y a pas eu de « stabilisation » et dans un contexte d’utilisation d’une ressource locale.
  • Le matériau est sain, en l’absence de « stabilisation » et de pollution du sol.
  • La terre crue a des caractéristiques hygrothermiques intéressantes, et permet d’apporter du confort dans les bâtiments.
  • Elle offre des perspectives architecturales et esthétiques intéressantes.

Les qualités techniques, esthétiques, et environnementales de la terre crue séduisent. En France, comme ailleurs dans le monde, des projets en terre crue plus ou moins médiatisés fleurissent.

La construction en terre crue et les acteurs de cette filière, hétérogène et bouillonnante, nous forcent aujourd’hui à reconsidérer notre rapport à la matière, à la technique, au local, et à l’acte de construire.

« Papa » a récemment revisité son patrimoine local construit en terre crue. Il était agréablement surpris, et ému !

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