Construction en terre : comment ça « tient » ?

Souvent, quand quelqu’un parle de construction en terre crue, il reçoit des regards dubitatifs, voire franchement interrogateurs : « mais comment ça tient ? », « est-ce qu’une construction en terre est résistante ? », « comment ça peut être aussi solide juste avec de la terre ? ». En effet, une explication s’impose ! Alors, voici en quelques lignes le « pourquoi du comment » la terre crue permet de construire ET en plus de manière solide.

 

La terre est un matériau dit « triphasique ». C’est à dire qu’elle est composée de 3 éléments distincts qui sont :

  1. L’EAU,
  2. L’AIR,
  3. ET DES GRAINS SOLIDES de tailles, de formes, et de natures variées.

Ces 3 éléments ont tous un rôle à jouer dans la tenue et la solidité des constructions en terre crue.

Les grains solides

Ils résultent de la dégradation lente des roches mères1 par des mécanismes physiques, chimiques et biologiques en lien avec la vie animale, végétale et les conditions climatiques.

Les grains solides de la terre sont répartis en différentes familles en fonction de leur taille et de leur forme. La répartition de ces différents types de grains est très variable d’une terre à une autre : on dit que la terre a une « granulométrie » variable. Parmi ces familles on peut notamment citer, du plus gros au plus petit grain :

Différentes granulométries de grains
Granulométrie des différents grains dans une terre.
  •  Les graves et les graviers : ils contribuent à la résistance en compression de l’ouvrage en terre crue, c’est à dire sa capacité à supporter des charges.
  •  Les sables grossiers et fins : ils limitent la porosité du matériau en prenant la place de l’air dans les petits trous séparant les graves et les graviers. Ainsi, ils limitent aussi le « retrait », c’est à dire la diminution du volume des éléments en terre crue lors du séchage, pouvant entrainer des fissures plus ou moins importantes.
  • Les argiles : elles sont reconnaissables à leur structure en feuillet. Elles constituent un ensemble de petites plaquettes très fines présentant une grande surface : par la formation de « ponts capillaires » (voir explication ci-dessous) elles constituent le « liant », c’est à dire la colle du matériau terre.

 

Pour visualiser le fonctionnement d’un pont capillaire, pensez aux fines plaquettes de verre utilisées pour contenir les échantillons étudiés au microscope (peut-être quelques lointains cours de SVT vous reviennent-ils en mémoire ?) :

  • quand on met une petite goutte d’eau sur une plaquette, sur laquelle on vient placer une autre plaquette, on obtient un assemblage de deux plaquettes collées qui deviennent très difficile à séparer.
  • Dans le cas des ponts capillaires entre les argiles, il se passe un phénomène similaire à une échelle microscopique et mettant en jeu un nombre très important de plaquettes.

 

Le comportement d’une terre est dépendant de sa granulométrie, notamment de la proportion et de l’activité des argiles. Selon leur nature, les argiles présentent des propriétés de cohésion et de gonflement à l’eau très spécifiques. La plupart des terres que l’on trouve dans la nature sont composées de plusieurs types d’argiles.

 

L’eau

L’eau joue un rôle très important dans la construction d’éléments en terre crue. Initialement présente dans la terre ou ajoutée lors du chantier, elle participe à l’activité du liant (l’argile) et peut faciliter la mise en œuvre des mélanges.

L’état « hydrique » de la terre, c’est à dire sa teneur en eau, influence son aspect et sa capacité à être modelée. Voici un résumé des principaux états hydriques de la terre crue, avec un ajout d’eau croissant :

Illustration des états hydriques de la terre
Illustration d’états hydriques différents de la terre
  • Sec : terre non modelable et sèche au toucher.
  • Humide : terre désagrégée, légèrement modelable par pression et humide au toucher.
  • Plastique : terre non friable, facilement modelable. Elle ne colle pas aux doigts (texture de pâte à modeler).
  • Visqueux : terre qui ne coule pas, mais difficilement modelable. Elle colle aux doigts.
  • Liquide : terre qui coule, impossible à modeler.

Le choix de l’état hydrique dépend de la façon dont la terre est mise en œuvre : chaque technique de construction en terre crue demande un état hydrique particulier.

Par exemple, si on a besoin de :

  • Comprimer, découper >> besoin de terre HUMIDEex : pour le pisé ou les BTC.
  • Modeler >> besoin de terre PLASTIQUEex : pour la bauge, l’adobe, le torchis.
  • Couper, étaler, coller >> besoin de terre VISQUEUSEex : pour les mortiers, les enduits, le torchis.
  • Couler, coller >> besoin de terre LIQUIDEex : pour faire de la terre allégée.

 

Afin de bien comprendre l’impact de l’eau sur la terre, reprenons les petites plaquettes en verre de nos cours de SVT :

  • En l’absence d’eau, séparer les plaquettes n’est pas très difficile.
  • En ajoutant des gouttes de plus en plus grosses entre nos plaquettes, nous allons finir par atteindre une quantité d’eau permettant un collage « optimum » particulièrement difficile à rompre.
  • Si passé ce point nous continuons à ajouter de l’eau entre nos plaquettes, leur collage va devenir de moins en moins efficace jusqu’à ne plus l’être du tout.
  • Le séchage permet d’éliminer une partie ou la totalité de l’eau en excès.

 

L’air

L’expérience des plaquettes de verre nous montre l’importance de l’air dans l’activité des ponts capillaires : trop d’air (= pas assez d’eau) ou trop peu d’air (= trop d’eau) entraine un « collage » de moins bonne qualité.

La présence d’air dans la terre est donc indispensable. Cependant, s’il se trouve en trop grande quantité l’air entraine une porosité importante. Cette porosité va diminuer la résistance mécanique des éléments en terre crue.

Pour chaque technique de construction, le choix de la terre et un juste équilibre entre l’eau et l’air à l’intérieur garantissent une bonne cohésion de la structure en terre crue.

 

Autres composants

En addition de ces trois principaux éléments, les terres peuvent également contenir des composants la rendant impropre à la construction, tels que :

  •  de la matière organique : souvent présente en grande quantité dans la couche de terre de surface.
  • des composés toxiques : naturels ou issus de l’activité humaine.

Pour des besoins spécifiques, le constructeur peut aussi choisir d’ajouter d’autres éléments à la terre pour en modifier les propriétés à son avantage. Voici quelques exemples (liste non exhaustive):

  • ciment ou autres liants industriels : ils permettent d’augmenter la résistance à la compression et la résistance à l’eau des ouvrages, mais rendent impossible le réemploi futur de la terre et impotent négativement l’empreinte environnemental du projet.
  • fibres végétales ou animales : selon leur nature et leur proportion, elles peuvent permettre d’améliorer la résistance des éléments en terre (résistance au cisaillement et en flexion), ainsi que les propriétés thermiques (isolation) de l’ouvrage.

1 Roche mère : la rochemère est la couche minérale superficielle de la croûte terrestre, dont l’altération contribue à la constitution des sols (source : wikipedia)

 

Cet article vous a-t-il été utile ?

Plateforme d'approvisionnement en matériaux naturels en circuit court, accessible à tous.

Plus d'articles